De Twitter à X, ou l’initiative controversée d'Elon Musk

Les plateformes sociales dominantes, fondées sur l’économie de l’attention, sont intrinsèquement porteuses de risques sociétaux et de toxicité. Twitter, grâce à ses contributeurs influents, a progressivement acquis une importance significative dans les débats démocratiques, devenant bien plus qu’une simple agora mondiale. Lorsque, fin octobre 2022, le libertarien Elon Musk est devenu le propriétaire unique de ce puissant « média », beaucoup se sont interrogés : s’agissait-il d’un caprice, d’un acte impulsif, ou d’une tentative de transformation structurelle, et à quel coût ?

Lionel Tardy, responsable de la pédagogie à l’ESVE, s’est penché sur la question et raconte ici l’histoire de Twitter et la folle aventure de sa transformation en X, nom qui peine encore à rentrer dans les esprits.

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La particularité des réseaux sociaux

Contrairement aux entreprises industrielles que Musk dirige avec succès, les réseaux sociaux ne fonctionnent pas de la même manière. Lawrence Lessig, dans son article de 2000 « Code is law », soulignait que la régulation des comportements s’effectue davantage par l’architecture des plateformes que par la législation. Les réseaux sociaux doivent non seulement réguler et modérer les contenus pour lutter contre le terrorisme ou protéger les enfants, mais ils doivent aussi captiver l’attention de leurs utilisateurs pour leur monétisation.

L’intelligence artificielle et ses algorithmes analysent les publications, les interactions et le temps passé sur chaque post pour proposer des contenus captivants, confinant souvent les utilisateurs dans une bulle virtuelle qui renforce leurs croyances. Cette architecture, si elle incite les utilisateurs à passer plus de temps sur une plateforme, engendre également des comportements addictifs et contribue à la déviance des réseaux sociaux. Elle facilite la monétisation tant que les annonceurs n’ont pas leur image associée à des contenus toxiques.

Les défis de Twitter

Au fil de ses 16 premières années, Twitter est devenu une plateforme incontournable pour les leaders d’opinion, ce qui a attiré les critiques sur la gestion de ses algorithmes de modération et de recommandation. Elon Musk, ayant rejoint Twitter en 2010, est rapidement devenu l’un des utilisateurs les plus actifs, utilisant la plateforme comme un outil de communication personnel. En janvier 2024, il comptait 140 millions de followers, surpassant même Barack Obama.

Cette popularité grandissante a bénéficié à ses activités industrielles, Tesla, par exemple, pouvant d’autant plus investir massivement en recherche et développement qu’elle peut s’éviter de lourdes dépenses marketing. Musk, fervent défenseur de la liberté d’expression, a critiqué la suspension du compte de Donald Trump par Twitter après les événements du 6 janvier 2021, considérant cela comme une atteinte à la démocratie. En conséquence, il a discrètement acheté des actions de Twitter avant de proposer une offre de rachat de 44 milliards de dollars, malgré l’opposition de ses proches.

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De Twitter à X : une transition chaotique

En rachetant Twitter, Elon Musk ambitionnait de créer une plateforme où la liberté d’expression serait absolue. Cette vision a généré à la fois enthousiasme et inquiétudes, notamment en raison de la prolifération de messages toxiques, haineux ou racistes, et du retrait des campagnes publicitaires de grands annonceurs comme Coca-Cola, Procter & Gamble, General Motors et Pfizer.

Les premiers mois de Musk à la tête de Twitter, renommé X, ont été marqués par des licenciements brusques, une gestion chaotique, et une chute des revenus. Musk a également utilisé la plateforme pour promouvoir ses autres entreprises (Tesla, Space X, Starlink), acceptant même de censurer des médias ou des opposants politiques, à la demande de dirigeants autocratiques. Cette approche a été perçue comme une entorse à la liberté d’expression au profit du retour sur investissement.

La nomination de Linda Yaccarino, ancienne responsable de NBCUniversal, à la tête de X, a ravivé l’idée de transformer la plateforme en une super application. Rappelons-nous qu’avant de fonder PayPal, Musk avait envisagé de créer X.com, une plateforme réunissant paiements, réseau social et création de contenu rémunéré, similaire à WeChat en Chine. Yaccarino a pour mission de ramener les annonceurs, ce qui est crucial pour la viabilité économique de la plateforme.

L’intelligence artificielle comme ROI

Un an après le rachat, Elon Musk est plus puissant, mais aussi plus controversé que jamais. Sa nouvelle stratégie repose sur l’intégration de l’intelligence artificielle générative, Grok AI, dans la version premium de l’application. Cette IA pourrait transformer la manière dont les utilisateurs interagissent avec la plateforme, en leur fournissant des informations personnalisées et en leur donnant le contrôle sur la modération et la recommandation des contenus.

Si cette vision se réalise, la modération des contenus ne serait plus gérée par la plateforme, mais par les utilisateurs eux-mêmes, grâce à des agents conversationnels avancés. Bien que l’achat de Twitter ait initialement semblé impulsif, il pourrait se révéler être une décision stratégique majeure pour Musk, lui offrant un retour sur investissement significatif.

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